Dans ce nouvel article, Emmanuel DE VALVERDE et Pierre-Julien CAZAUX décryptent les possibilités d’évolutions des managers dans le cadre d’une transformation vers le mode produit.
Devenir agile et passer “au mode produit” deviennent aujourd’hui des nécessités pour les organisations qui veulent gagner en performance tout en faisant face aux nombreuses ruptures que nous vivons désormais.
Problème : les potentielles frustrations de ces transformations sont rarement évoquées, notamment l’évolution du rôle de manager. Dans cette série d’articles, nous abordons frontalement cet enjeu en vous donnant des pistes pour les surmonter.
Après un premier Position Paper sur le devenir des chefs dans une entreprise agile et un second sur le “deuil” que représente le mode produit pour les managers, nous concluons cette série en revenant sur les nouveaux rôles que vont avoir ces chefs à l’avenir dans les organisations en mode produit.
Mais que deviennent les chefs dans une organisation en mode produit ?
Moins de chefs. La sentence est brutale. Dans une entreprise agile, où, comme nous l’avons vu dans l’article précédent, les équipes sont autonomes et responsabilisées, les managers perdent une bonne partie de leur raison d’être opérationnelle.
Comment faire alors pour “recycler” ces postes sans équipe, qui plus est dans un contexte réglementaire français plus rigide que ce que l’on peut connaître ailleurs ? C’est ce que nous allons voir dans cet article.
I/ Que devient le Top Management ?
À ce stade, une distinction s’impose. Commençons par le Top Management. Dans un modèle en mode produit, il y a moins de managers… mais il y a encore des managers ! “Pas d’entreprise agile sans leaders dans les équipes, sans leaders aux postes clés, et notamment en animation d’équipes autonomes”, écrit à raison Ludovic Marty, Managing Director chez Tasmane, dans son Position Paper sur le sujet.
Leur poste reste mais leur rôle change. Voici en résumé le costume qu’ils doivent endosser dans ce nouveau contexte :
Transmettre la vision
Sans vision, des équipes autonomes peuvent rapidement partir dans tous les sens, sans aucune cohérence globale ni priorisation claire. Les leaders de ce type d’organisation doivent ainsi indiquer le cap stratégique que doit prendre l’entreprise d’ici les prochaines années. Mais aussi transmettre régulièrement leur enthousiasme aux équipes afin de les motiver à s’y rendre !
Poser le cadre
Ce point est grandement lié au précédent, mais va au-delà. Les leaders d’une organisation en mode produit sont les garants de l’alignement des équipes. Par la vision, comme nous venons de le mentionner. Mais également grâce à la mise à disposition de ressources au service des équipes pour qu’elles puissent atteindre les objectifs fixés. Exemple concret : les managers doivent s’assurer que les équipes mesurent correctement leur performance (vélocité, productivité etc.) et qu’elles sont ainsi en capacité de s’améliorer progressivement.
En résumé, les leaders sont des animateurs et orchestrateurs dont l’influence est indirecte sur l’opérationnel : ils font confiance aux équipes pour qu’elles trouvent les solutions aux problèmes posés, en fixant elles-mêmes leur propre modus operandi.
II/ Que deviennent les managers intermédiaires ?
Passons désormais au middle management, les postes en réalité les plus impactés par ces nouveaux modes d’organisation. Chez Tasmane, nous avons établi trois cheminements possibles dans ces cas de figure.
La voie du mentoring
La première possibilité est de se mettre au service des équipes pour les aider à grandir et à progresser. On parle ici de “Servant Leader”. L’idée est d’aider ces dernières à devenir vraiment autonomes en les faisant monter en compétences.
Ce mentoring peut porter soit sur l’excellence opérationnelle, que cela soit par exemple sur les pratiques de delivery, sur l’alignement de la stratégie ou la diffusion des bonnes pratiques, soit sur du mentoring “managérial”, pour faire travailler la posture des leaders de l’équipe.
La voie de l’expertise
Deuxième possibilité : devenir expert ou experte. Une filière sous-estimée en France mais pourtant extrêmement utile pour une équipe et, heureusement, en train d’émerger progressivement dans les entreprises.
Souvent, en effet, les managers intermédiaires arrivent à leurs niveaux de responsabilité car ils sont bons dans leur travail et qu’il faut trouver une façon de les récompenser afin de les garder… faute de disposer d’un parcours carrière qui valorise l’expertise, autant d’un point de vue du statut que de la rémunération !
Ce qui peut se traduire par des personnes qui ne sont plus à leur place, qui font du micro-management pour garder leur lien avec le terrain ou dont l’expertise s’appauvrit, sans les moyens adéquats pour l’entretenir et la renouveler.
Une organisation en mode produit est une opportunité pour valoriser la qualité de ces potentiels sous-exploités. D’autant que ces profils Senior, aussi appelés contributeurs individuels apportent une valeur ajoutée souvent déterminante à des projets : résolution de problèmes complexes, transmission de savoir sur une expertise poussée technique ou métier, lancement de nouveaux produits…
La voie de l’animation de communautés
Enfin, la troisième potentialité : l’animation de communautés. La transversalité est une notion difficile mais cruciale à appréhender pour une organisation en mode produit. La réussite en la matière passe souvent par des fonctions dédiées qui font en sorte de briser les barrières entre les équipes autonomes.
De la sorte, ces communautés métier (appelées parfois Practices ou Chapters) peuvent partager leurs bonnes pratiques ou leurs enjeux de ressources (staffing, outils, RH…). Autrement dit, ce rôle sert à mettre de l’huile dans les rouages quand l’organisation est composée de multiples entités.
Voici, dans les grandes lignes, quelques possibilités d’évolution pour ces managers intermédiaires. Mais il est possible de trouver d’autres solutions créatives en fonction des spécificités de son contexte d’entreprise.
Prenons par exemple une grande enseigne française que Tasmane a accompagné il y a quelque temps. Nous avons imaginé la mise en place d’équipes autonomes, d’une personne “responsable” et… d’une personne “challenger”, généralement chef d’une autre Business Unit.
Son objectif ? Remettre en question les idées de l’équipe à l’aune de sa vision métier. Autrement dit, les chefs deviennent des ambassadeurs de points de vue. Le marketing va challenger la finance, l’IT va challenger les achats et ainsi de suite. Ceci afin d’accroître l’alignement de l’ensemble de la structure et de créer des synergies, au-delà des silos des différents services.
De quoi finir par une note rassurante : ce n’est pas parce que les nouveaux modes d’organisation requièrent moins de managers que ces personnes n’y ont plus leur place.
Comme dans un mouvement de destruction créatrice, ce passage au mode produit condamne certains rôles devenus caducs mais en invente d’autres, nécessaires au bon fonctionnement d’une structure en réseau. Le chemin vers l’entreprise agile passe par la culture de l’agilité… y compris pour les métiers !